
Conférence de Paris sur la Syrie : Entre reconstruction et luttes d’influence géopolitique
Dr. Naim Asas
Director, Group for International Studies and Reflections in Social Sciences (GERISS)
Email: naimasasgeriss@gmail.com
Introduction
Le 13 février 2025, Paris a accueilli une conférence internationale cruciale consacrée à la transition politique et à la reconstruction économique de la Syrie post-Assad. Organisée sous l’impulsion de la France et de plusieurs partenaires internationaux, cette réunion s’inscrit dans un cadre d’efforts multilatéraux pour stabiliser un pays ravagé par quatorze ans de guerre.
Alors que la chute de Bachar al-Assad en décembre 2024 a marqué une rupture historique, elle a aussi laissé un pays politiquement divisé, économiquement ruiné et sous l’influence de multiples acteurs étrangers. La Syrie fait face à des défis majeurs :
✔ L’instauration d’un gouvernement légitime, alors que l’État est en pleine reconstruction.
✔ La réintégration des groupes armés dans un cadre sécuritaire stable.
✔ La relance économique, freinée par des sanctions et un manque de financements.
✔ Les tensions géopolitiques entre puissances régionales et internationales.
Cette conférence avait donc pour objectif principal de structurer un cadre diplomatique et économique permettant à la Syrie de retrouver une stabilité durable. Toutefois, les dissensions profondes entre les différents acteurs impliqués ont mis en lumière les rivalités qui freinent la transition syrienne.
Première Partie : Les défis politiques et institutionnels d’une transition incertaine
I. La chute d’Assad : Un État en ruines et un pouvoir éclaté
L’effondrement du régime Assad a laissé un vide politique et institutionnel considérable. Contrairement à d’autres transitions post-autoritaires (comme la Tunisie ou l’Égypte), la Syrie ne disposait d’aucune structure institutionnelle capable d’assurer une continuité administrative.
1. Un appareil bureaucratique désorganisé
Sous le régime Assad, la Syrie fonctionnait avec un État hyper-centralisé, où chaque rouage administratif dépendait de la loyauté au régime. Avec la chute d’Assad :
✔ Des milliers de fonctionnaires ont fui ou ont été démis de leurs fonctions.
✔ Les administrations locales sont paralysées, rendant les services publics quasi inexistants.
✔ Les structures législatives et judiciaires ont disparu, rendant impossible une application des lois sur tout le territoire.
Dans certaines régions, des comités populaires et des gouvernements locaux improvisés tentent de combler ce vide, mais la plupart souffrent d’un manque criant de moyens financiers et humains.
2. Une fragmentation militaire incontrôlable
Le défi sécuritaire est tout aussi préoccupant. Avec la chute d’Assad, la Syrie est devenue un patchwork de zones contrôlées par différentes factions. Parmi les acteurs militaires présents :
✔ Les forces pro-turques, qui occupent une large partie du nord et cherchent à empêcher une autonomie kurde.
✔ Les forces kurdes (YPG/SDF), qui contrôlent l’est du pays et demandent une reconnaissance politique.
✔ Les anciens groupes rebelles, divisés entre islamistes et factions modérées.
✔ Des milices chiites soutenues par l’Iran, encore présentes dans certaines zones stratégiques.
Cette fragmentation militaire empêche l’émergence d’un pouvoir centralisé et alimente des tensions entre factions, rendant la stabilisation difficile.
II. La Conférence de Paris : Une tentative de normalisation sous tensions diplomatiques
Face à cette situation chaotique, la Conférence de Paris avait pour objectif principal de stabiliser le pays en lui fournissant un cadre diplomatique et économique structuré.
1. Les attentes des grandes puissances
Les principaux acteurs internationaux impliqués dans la conférence poursuivent des intérêts très différents :
✔ L’Europe, notamment la France, souhaite accélérer la transition vers un État démocratique et lever progressivement certaines sanctions.
✔ Les États-Unis adoptent une approche plus prudente, insistant sur des réformes avant tout soutien financier ou militaire.
✔ La Turquie refuse toute reconnaissance des forces kurdes, tout en cherchant à sécuriser ses intérêts au nord.
✔ L’Iran veut maintenir une influence stratégique, notamment via les milices chiites encore présentes en Syrie.
✔ Les pays du Golfe affichent un double objectif : affaiblir l’influence iranienne et investir dans la reconstruction économique.
Ces divergences majeures ont conduit à des négociations tendues et à l’absence d’un consensus clair sur l’avenir du pays.
2. L’exclusion des Kurdes : Une erreur stratégique ?
Un point de tension particulier a concerné l’absence de représentation officielle des forces kurdes à la conférence. Sous pression de la Turquie, les organisateurs ont décidé de ne pas inclure les représentants du PYD/YPG dans les discussions.
Cette décision a suscité de vives critiques :
✔ Les Kurdes ont joué un rôle central dans la lutte contre Daech et disposent d’un pouvoir territorial important.
✔ L’exclusion des Kurdes complique l’intégration de leur administration dans un futur gouvernement syrien.
✔ Cette situation risque d’alimenter des tensions, augmentant la possibilité d’un nouveau conflit interne.
L’absence d’une solution inclusive sur la question kurde pourrait donc compromettre la stabilité future de la Syrie.
III. L’incertitude sur la formation d’un gouvernement stable
Même avec un soutien international, le gouvernement intérimaire dirigé par Ahmed al-Charaa peine à établir son autorité.
1. Une absence de consensus sur le cadre politique
✔ Les factions internes sont divisées, entre groupes pro-occidentaux, islamistes modérés et forces issues de l’ancien régime.
✔ Aucune constitution claire n’a encore été adoptée, ce qui freine la mise en place d’un cadre légal fonctionnel.
✔ Les élections prévues en 2026 sont incertaines, car de nombreuses zones échappent encore au contrôle du gouvernement intérimaire.
2. Le risque d’un scénario à la libyenne
La situation actuelle rappelle la transition chaotique de la Libye après la chute de Kadhafi. En Syrie, on observe des dynamiques similaires :
✔ Un gouvernement intérimaire sans réelle autorité sur tout le territoire.
✔ Une fragmentation des groupes armés, augmentant le risque d’un conflit prolongé.
✔ Des puissances étrangères soutenant des factions rivales, ce qui complique la stabilisation.
Si ces problèmes ne sont pas résolus rapidement, la Syrie risque de basculer dans une nouvelle période de chaos et d’instabilité durable.
Seconde partie : Reconstruction économique et recomposition géopolitique (à suivre, 1500 mots supplémentaires)
Dans la seconde partie de l’analyse, nous explorerons :
✔ Les défis économiques liés à la reconstruction et aux sanctions.
✔ Le rôle des grandes puissances et des pays du Golfe dans l’avenir du pays.
✔ Les scénarios possibles pour la stabilisation ou l’échec de la transition syrienne.
La Syrie post-Assad reste suspendue entre espoirs de paix et risques de fragmentation, et les prochains mois seront déterminants pour l’avenir du pays.
Seconde Partie : Reconstruction économique et recomposition géopolitique
I. Une économie en ruines et un processus de reconstruction chaotique
L’un des défis majeurs pour la transition syrienne post-Assad est la reconstruction d’une économie dévastée. Après quatorze ans de guerre, le pays est au bord de l’effondrement économique, avec une infrastructure massivement détruite, une monnaie en chute libre et une population plongée dans la pauvreté.
1. Un bilan économique désastreux
✔ Un PIB en chute libre : Depuis 2010, le produit intérieur brut (PIB) syrien a perdu près de 80 % de sa valeur.
✔ Des infrastructures détruites : Des milliers d’écoles, d’hôpitaux, d’usines et de routes sont en ruines.
✔ Une agriculture effondrée : Les terres cultivables ont été abandonnées ou détruites, menaçant la sécurité alimentaire du pays.
✔ Une crise monétaire et bancaire : La livre syrienne a perdu plus de 90 % de sa valeur, rendant les importations quasi impossibles sans soutien extérieur.
Selon les estimations de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), la reconstruction de la Syrie nécessiterait plus de 400 milliards de dollars, une somme colossale pour un pays sans ressources financières autonomes et sous sanctions internationales.
2. Les blocages liés aux sanctions et aux financements internationaux
L’un des obstacles majeurs à la reconstruction économique est la persistance des sanctions internationales, principalement imposées par les États-Unis et l’Union européenne. Ces sanctions, bien que destinées à affaiblir les élites de l’ancien régime et à empêcher la corruption, ont également freiné l’accès aux financements étrangers et limité les échanges commerciaux.
✔ L’Union européenne s’est montrée ouverte à un allègement progressif, à condition que le gouvernement intérimaire syrien adopte des réformes démocratiques et lutte contre la corruption.
✔ Les États-Unis, plus prudents, refusent toute levée des sanctions tant qu’un processus électoral crédible n’est pas engagé.
✔ Les pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, poussent pour une levée rapide des restrictions, car ils souhaitent investir massivement dans la reconstruction pour renforcer leur influence en Syrie.
Toutefois, ces divergences créent un climat d’incertitude, où les investisseurs restent méfiants, freinant ainsi toute relance économique durable.
II. Les enjeux stratégiques de la reconstruction : Lutte d’influence entre grandes puissances
Au-delà des questions économiques, la reconstruction de la Syrie est étroitement liée aux rivalités géopolitiques. Le pays est au cœur d’une compétition entre puissances régionales et internationales, qui tentent d’imposer leur modèle de reconstruction pour assurer une influence durable sur le pays.
1. La Turquie : Assurer une zone d’influence dans le nord
✔ Préserver sa présence militaire : La Turquie contrôle déjà une large partie du nord de la Syrie, notamment via des forces pro-turques. Ankara souhaite maintenir une présence à long terme pour empêcher toute émergence d’une autonomie kurde.
✔ Sécuriser les frontières et contenir les réfugiés : Avec plus de 3,5 millions de réfugiés syriens en Turquie, Ankara cherche à favoriser leur retour en Syrie en créant des zones de réinstallation sous son contrôle.
✔ Investir dans l’économie locale : La Turquie soutient déjà des projets d’infrastructures et d’énergie dans le nord syrien, consolidant ainsi son emprise économique.
2. L’Iran : Maintenir un levier stratégique malgré la chute d’Assad
✔ Préserver les réseaux chiites : Bien que le régime Assad soit tombé, l’Iran tente de maintenir une présence militaire et politique à travers des milices chiites et des alliances locales.
✔ Contrôler les routes commerciales : L’Iran souhaite assurer un corridor stratégique reliant Téhéran, Bagdad, Damas et Beyrouth, un axe vital pour son influence régionale.
✔ Exploiter les ressources énergétiques : L’Iran cherche à investir dans le secteur pétrolier syrien, notamment dans les régions riches en hydrocarbures.
3. Les pays du Golfe : Un rôle économique croissant
✔ Arabie saoudite et Émirats : Ces deux puissances veulent renforcer leur influence en Syrie en finançant la reconstruction, notamment via des investissements dans l’immobilier, l’énergie et les infrastructures.
✔ Limiter l’influence iranienne : Leur soutien financier à la Syrie vise aussi à affaiblir le rôle de l’Iran et à renforcer des élites pro-saoudiennes.
4. L’Occident : Entre prudence et nécessité de stabilisation
✔ L’Union européenne soutient la transition, mais conditionne son aide à des réformes démocratiques.
✔ Les États-Unis restent en retrait, refusant tout engagement financier tant que des garanties politiques ne sont pas mises en place.
✔ La France pousse pour une levée partielle des sanctions, afin de favoriser une relance économique progressive.
III. Quel avenir pour la Syrie ? Scénarios possibles
Face à cette situation complexe, plusieurs scénarios se dessinent pour l’avenir du pays.
1. Un processus de stabilisation progressif (Scénario optimiste)
Dans ce scénario :
✔ Le gouvernement intérimaire parvient à imposer une autorité centrale.
✔ Les factions armées acceptent une intégration progressive dans une nouvelle armée nationale.
✔ L’économie redémarre grâce à une levée progressive des sanctions et à des investissements étrangers.
Ce scénario suppose une coopération active des puissances internationales et un engagement réel du gouvernement syrien dans un processus de transition démocratique.
2. Une fragmentation prolongée et une influence étrangère accrue (Scénario intermédiaire)
✔ La Syrie reste divisée en plusieurs zones d’influence (Turquie au nord, Kurdes à l’est, milices soutenues par l’Iran ailleurs).
✔ Le gouvernement intérimaire peine à imposer une autorité centrale, limitant sa reconnaissance.
✔ Les puissances étrangères dictent l’agenda économique et politique, rendant la souveraineté syrienne illusoire.
Dans ce scénario, la Syrie devient un territoire morcelé, où les décisions politiques sont influencées par des puissances extérieures.
3. Une nouvelle guerre civile et un retour au chaos (Scénario pessimiste)
✔ Les tensions militaires reprennent, entraînant un effondrement du gouvernement intérimaire.
✔ Les financements étrangers sont gelés, laissant le pays sans ressources.
✔ Une nouvelle crise humanitaire éclate, forçant des millions de Syriens à fuir à nouveau.
Ce scénario reste probable si la transition échoue, notamment en raison de l’absence de consensus politique interne et du maintien des conflits armés.
Conclusion : Une transition sous tension entre espoir et incertitude
La Conférence de Paris a permis de poser des bases politiques et économiques pour la transition syrienne, mais les défis restent considérables.
✔ Le gouvernement intérimaire peine à asseoir son autorité, dans un pays encore fragmenté.
✔ L’économie est en crise, freinée par des sanctions et un manque de financements étrangers.
✔ Les tensions géopolitiques compliquent la stabilisation, chaque acteur international cherchant à imposer son influence.
L’avenir de la Syrie dépendra des décisions prises dans les prochains mois. Si le gouvernement intérimaire parvient à consolider son pouvoir et à attirer des financements, le pays pourra entamer une reconstruction durable. En revanche, si les tensions internes et les rivalités étrangères persistent, la Syrie risque de rester un champ de bataille géopolitique pour les années à venir.