République désarticulée : lignes de faille économiques, écologiques et démocratiques de la France contemporaine

Dr. Naim Asas

Directeur du Groupement d’Études et de Réflexions Internationales en Sciences Sociales (GERISS)

naimasasgeriss@gmail.com | www.reflexionsstrategiques.com

Résumé 

Cet article propose une analyse systémique des vulnérabilités contemporaines de la France à travers quatre axes majeurs : l’effondrement industriel et la dualisation sociale ; la crise démocratique et institutionnelle ; la transition écologique entravée ; et le recul géopolitique dans un monde multipolaire. Fondé sur des données empiriques récentes, des références académiques solides et une grille d’interprétation critique, il met en lumière l’interconnexion des fractures économiques, politiques, sociales, écologiques et stratégiques. L’auteur plaide pour une refondation cohérente et intégrée du modèle républicain français, articulée autour de la justice sociale, de la planification écologique, de la démocratie délibérative et d’un repositionnement diplomatique humaniste. Loin d’un récit décliniste, cet article ouvre la voie à une reconstruction stratégique du lien entre souveraineté, solidarité et vision collective.

Mots-clés : désindustrialisation, transition écologique, crise démocratique, souveraineté, justice sociale, géopolitique française, bifurcation systémique.


Abstract 

This article provides a systemic analysis of France’s contemporary vulnerabilities through four key dimensions: industrial decline and social dualisation; democratic and institutional crisis; stalled ecological transition; and geopolitical retreat in a multipolar world. Based on recent empirical data, solid academic references and a critical interpretive framework, it highlights the interdependence of economic, political, social, environmental and strategic fractures. The author calls for a coherent and integrated refoundation of the French republican model, centered on social justice, ecological planning, deliberative democracy, and a renewed humanist diplomacy. Far from a declinist narrative, the article outlines the foundations for a strategic reconstruction linking sovereignty, solidarity, and collective vision.

Keywords: deindustrialisation, ecological transition, democratic crisis, sovereignty, social justice, French geopolitics, systemic bifurcation.

1 — Fractures économiques, désindustrialisation et dualisation sociale : vers un modèle productif en crise structurelle

1.1. Une désindustrialisation accélérée, révélatrice d’un affaiblissement stratégique

Depuis les années 1980, la France connaît une érosion continue de sa base industrielle. L’industrie représentait 24 % du PIB en 1980 contre seulement 10,1 % en 2023 (INSEE, 2023). Contrairement à des économies voisines comme l’Allemagne ou la Suède, qui ont su investir dans la montée en gamme ou la relocalisation partielle, la France a suivi une trajectoire de désindustrialisation marquée par l’externalisation, la financiarisation et une dépendance croissante aux technologies importées (France Stratégie, 2023 ; OCDE, 2022).

Cette perte de souveraineté productive a des conséquences structurelles. Sur l’emploi, d’abord : près de deux millions de postes industriels ont été supprimés en quatre décennies (INSEE, 2023). Sur la balance commerciale, ensuite : le déficit atteint un record de 164 milliards d’euros en 2022, dû principalement à l’importation de biens manufacturés (Ministère de l’Économie, 2023). Enfin, sur la sécurité stratégique : la crise du Covid-19 a mis en lumière la dépendance de la France aux chaînes de valeur globalisées dans des secteurs critiques comme la santé, l’énergie ou l’électronique.


1.2. Une croissance molle et une dépendance croissante à la dépense publique

Sur la période 2010–2020, le taux de croissance annuel moyen de l’économie française s’établit à 1,1 %, soit un des plus faibles parmi les pays de l’OCDE (OCDE, 2022). Cette stagnation s’explique par une productivité en berne, une faiblesse chronique de l’investissement productif et une compétitivité-prix structurellement dégradée.

Face à cette inertie, la dépense publique représente 58,1 % du PIB en 2023, un des taux les plus élevés d’Europe (Cour des comptes, 2024). Si ce levier budgétaire a permis d’amortir les chocs — notamment pendant la pandémie —, il s’est traduit par un endettement public dépassant 112 % du PIB, limitant la marge de manœuvre budgétaire pour la transition écologique ou la réindustrialisation (Trésor Public, 2023).


1.3. Dualisation du marché du travail et précarisation silencieuse

Derrière un taux de chômage relativement stable autour de 7 %, le marché du travail français demeure profondément segmenté. Tandis qu’une partie des salariés bénéficie de contrats stables, de protections sociales solides et de parcours professionnels linéaires, une autre partie — majoritairement composée de jeunes, de femmes et de personnes issues de l’immigration — est enfermée dans des formes d’emploi précaires : contrats courts, temps partiels subis, intérim ou micro-entrepreneuriat contraint (DARES, 2023).

Ce phénomène se double d’un paradoxe croissant : selon l’INSEE (2023), 13 % des travailleurs en emploi vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. Ce “salariat pauvre” traduit l’érosion de la qualité de l’emploi en France, aggravée par l’inadéquation entre système de formation et besoins des filières industrielles ou technologiques (France Stratégie, 2022).


1.4. Une fracture territoriale profonde et persistante

La géographie économique française est marquée par un processus de métropolisation qui concentre les ressources, les infrastructures et les investissements dans les grandes agglomérations. À l’inverse, les zones rurales, les petites villes et les anciens bassins industriels connaissent un double phénomène de marginalisation économique et de déclassement social (Commissariat général à l’égalité des territoires, 2022).

Ce déséquilibre alimente un sentiment d’abandon et de colère, perceptible dans les mouvements sociaux récents tels que celui des Gilets jaunes, et dans les taux d’abstention records en milieu rural. Comme le souligne Jacques Lévy (2022), il s’agit d’un “délitement spatial du principe d’égalité républicaine”, que les politiques publiques peinent à enrayer.


1.5. Le logement et l’inflation comme catalyseurs du déclassement

La crise du logement contribue à creuser les inégalités économiques. Dans les grandes villes, les prix de l’immobilier ont augmenté de plus de 120 % en vingt ans, réduisant l’accès au logement pour les classes moyennes et les jeunes actifs (Notaires de France, 2023). Cette inflation résidentielle, couplée à la hausse des loyers, pèse lourdement sur le pouvoir d’achat et renforce les inégalités patrimoniales (Piketty, 2022).

Par ailleurs, les hausses des prix sur les biens de première nécessité (énergie, transport, alimentation) ont un impact disproportionné sur les ménages modestes. Bien que contenue par rapport à certains voisins européens, l’inflation française touche directement la consommation de base (INSEE, 2023), accentuant le sentiment de déclassement.


1.6. Vers quel modèle de reconstruction ?

Plusieurs scénarios de redressement sont actuellement débattus dans les milieux académiques et institutionnels. Une stratégie industrielle articulée à une relocalisation partielle des chaînes de valeur est l’une des pistes avancées, notamment dans les secteurs stratégiques à fort impact social et écologique (santé, énergie, numérique). Cela suppose une politique d’investissement de long terme, une réforme de la commande publique, et un soutien massif à l’innovation (Pisan-Ferry, 2022).

En parallèle, la transition passe aussi par une réforme fiscale plus progressive, une lutte contre l’évasion fiscale, et une réduction des inégalités patrimoniales (Piketty, 2022). Mais selon Méda (2023), le cœur du redressement repose sur une articulation entre politique économique, justice territoriale et participation citoyenne. Cela implique un réinvestissement massif dans les territoires, une économie des proximités, et une planification démocratique de la transition écologique.


2 — Crise politique, défiance démocratique et instabilité institutionnelle : vers une République désarticulée ?

2.1. L’usure démocratique : abstention, méfiance et repli civique

La démocratie française connaît une perte de confiance durable et multidimensionnelle. Les taux d’abstention électorale atteignent des niveaux historiquement élevés : 72 % aux élections régionales de 2021, plus de 53 % aux législatives de 2022 (Ministère de l’Intérieur, 2022). Ce recul de la participation électorale traduit une crise plus profonde de légitimité démocratique.

Selon le Baromètre du CEVIPOF (2024), seuls 29 % des citoyens font confiance à l’Assemblée nationale, 20 % aux partis politiques, et à peine 35 % au président de la République. Cette défiance ne relève pas seulement d’un désengagement passif, mais d’un sentiment de dissociation entre représentation électorale et pouvoir réel. La démocratie apparaît formelle, ritualisée, souvent vidée de son contenu délibératif.


2.2. Un régime institutionnel en déséquilibre croissant

La Cinquième République, héritée de la crise de 1958, repose sur un présidentialisme fort. Ce déséquilibre s’est accentué depuis l’instauration du quinquennat en 2000 et la synchronisation des calendriers électoraux, qui ont consolidé la domination de l’exécutif sur le Parlement (Leca, 2018).

Les usages répétés de l’article 49.3, les votes bloqués, les procédures accélérées ou les ordonnances renforcent une impression de gouvernement unilatéral. Le Parlement est souvent perçu comme une chambre d’enregistrement. Cette concentration du pouvoir nourrit une crise de représentativité, aggravée par l’effondrement des partis traditionnels et la montée des formations dites “hors système”.


2.3. L’effritement des partis et la dépolitisation des élites

Le paysage partisan français est fragmenté et affaibli. Le Parti socialiste et Les Républicains, autrefois hégémoniques, ont perdu leurs bases sociales et électorales. En parallèle, les partis populistes ou contestataires (La France insoumise, Rassemblement national) mobilisent les colères sans toujours offrir de solutions institutionnelles viables.

Ce phénomène est amplifié par la montée d’une gouvernance technocratique. Comme l’a montré Pierre Rosanvallon (2015), on assiste à un glissement d’un gouvernement représentatif vers une gouvernance experte, où les décisions sont prises par des hauts fonctionnaires, des agences indépendantes ou des cabinets privés, souvent en dehors du débat citoyen.


2.4. Les colères sociales comme langage d’une démocratie empêchée

Face à l’affaiblissement des canaux institutionnels, de nombreuses mobilisations émergent dans l’espace public. Les Gilets jaunes, les mouvements contre la réforme des retraites ou les mobilisations écologistes expriment un besoin de reconnaissance démocratique, de justice sociale et de participation.

Ces mobilisations ne rejettent pas nécessairement la démocratie, mais contestent la manière dont elle est exercée. Elles incarnent ce que certains chercheurs appellent une démocratie insurgeante — une tentative de réappropriation du politique par des citoyens marginalisés des cercles de décision (Abensour, 2008 ; Blondiaux, 2021).


2.5. Réformes possibles et scénarios de refondation démocratique

Pour répondre à cette crise de confiance, plusieurs réformes sont débattues dans les milieux académiques et citoyens. La plus évoquée reste l’instauration d’une dose significative de proportionnelle aux élections législatives, afin de refléter plus fidèlement le pluralisme politique et de redonner au Parlement un rôle moteur (Garrigou, 2023).

Le référendum d’initiative citoyenne (RIC), expérimenté dans d’autres pays européens, est également défendu par de nombreux collectifs. Encadré juridiquement, il pourrait renforcer la légitimité des décisions publiques et la participation directe.

Enfin, des dispositifs de démocratie délibérative — tels que les budgets participatifs, conventions citoyennes, ou jurys citoyens — sont testés à l’échelle locale. Ces formes d’implication, bien que limitées, peuvent favoriser une culture démocratique plus horizontale, inclusive et territorialisée (Blondiaux & Sintomer, 2019).

Certains plaident désormais pour une refonte constitutionnelle, vers une Sixième République. Une telle réforme viserait à rééquilibrer les pouvoirs, revitaliser les institutions, et renforcer le lien entre les citoyens et leurs représentants. Ce projet, longtemps considéré comme utopique, gagne en crédibilité face à l’impasse démocratique actuelle.

3 — Transition écologique entravée et vulnérabilité environnementale : l’impasse d’un modèle productiviste sous contrainte climatique

3.1. La France face à ses engagements climatiques : ambition déclarée, résultats contrariés

Depuis l’Accord de Paris (2015), la France s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 40 % d’ici 2030, objectif porté à 55 % dans le cadre du Pacte vert européen. Pourtant, les résultats demeurent très en deçà des trajectoires fixées. Le Haut Conseil pour le Climat (2023) souligne un décalage persistant entre les ambitions affichées et les politiques effectivement mises en œuvre : les réductions d’émissions atteignent à peine 25 % entre 1990 et 2022, loin des objectifs climatiques européens.

Cette lenteur est aggravée par des déséquilibres structurels : si l’industrie et l’électricité ont connu des gains d’efficacité notables, les secteurs du transport, du bâtiment et de l’agriculture, fortement carbonés, stagnent ou reculent. À cela s’ajoute une gouvernance insuffisamment coordonnée, des mécanismes de suivi trop faibles et une sous-estimation des inégalités sociales face à la transition (ADEME, 2023 ; HCC, 2023).


3.2. La dépendance nucléaire comme frein à une transition plurielle

L’architecture énergétique française repose historiquement sur le nucléaire, qui représente environ 65 % de la production électrique (RTE, 2023). Si cette spécificité limite les émissions de CO₂ du mix électrique, elle induit une dépendance technologique à une filière centralisée, coûteuse et vulnérable aux aléas industriels (retards des EPR, vieillissement du parc, besoins de maintenance).

Cette priorité accordée au nucléaire a longtemps marginalisé le développement des énergies renouvelables. En 2022, la France figure parmi les derniers pays européens en matière de puissance installée en solaire et éolien terrestre, loin derrière l’Allemagne ou l’Espagne (Commission européenne, 2023). Ce retard est accentué par des freins administratifs, des oppositions locales et un manque de portage politique cohérent.

Plus encore, ce modèle énergétique ultra-centralisé renforce un sentiment de dépossession démocratique : les choix sont pris au sommet de l’appareil d’État, sans véritable débat public ou co-construction territoriale (Méda, 2023). Or, la transition écologique ne peut réussir sans adhésion citoyenne.


3.3. Artificialisation, perte de biodiversité et crise de l’aménagement

L’artificialisation des sols progresse en moyenne de 20 000 hectares par an, malgré les engagements de sobriété foncière (Ministère de la Transition écologique, 2022). Cette dynamique touche les périphéries urbaines, les zones agricoles et les espaces naturels, au détriment de la biodiversité, de la sécurité alimentaire et de la résilience climatique des territoires.

Parallèlement, la biodiversité française connaît un effondrement alarmant : en trente ans, un tiers des oiseaux des campagnes a disparu, et les populations d’insectes pollinisateurs se sont effondrées de plus de 70 % (Muséum national d’histoire naturelle, 2022). Ce déclin touche aussi les milieux aquatiques et forestiers, fragilisant l’ensemble des écosystèmes.

La politique foncière reste dominée par des logiques court-termistes : urbanisme spéculatif, infrastructures inutiles, étalement pavillonnaire. La loi Climat et Résilience (2021), bien qu’ambitieuse dans ses objectifs, se heurte à un manque de moyens, à une faible articulation entre niveaux de décision, et à de puissants lobbies économiques.


3.4. Une transition perçue comme punitive, socialement injuste

L’un des principaux blocages tient à la perception de la transition écologique comme un ensemble de contraintes imposées “par le haut”, souvent en décalage avec les conditions de vie réelles. Le mouvement des Gilets jaunes, déclenché par une hausse de la taxe carbone, a illustré le divorce entre injonctions climatiques et justice sociale.

Les ménages les plus modestes subissent de plein fouet les conséquences du changement climatique (précarité énergétique, mal-logement, vulnérabilité sanitaire), tout en ayant moins de moyens pour s’adapter (rénovation, transport, alimentation durable). Selon le HCC (2023), l’absence d’une stratégie de “transition juste” alimente la défiance et compromet l’efficacité des politiques climatiques.

À défaut d’une redistribution équitable des efforts et des bénéfices, la transition risque de reproduire, voire d’amplifier, les inégalités sociales, territoriales et générationnelles.


3.5. Une gouvernance environnementale fragmentée, inefficace et opaque

La gouvernance écologique en France souffre d’une fragmentation institutionnelle chronique. Les instruments sont nombreux — Stratégie nationale bas carbone (SNBC), Plan climat, Feuille de route énergie-climat — mais peu articulés, sans hiérarchie claire ni coordination entre les ministères, les collectivités et les opérateurs.

Le rôle des collectivités territoriales reste marginalisé, alors qu’elles sont en première ligne pour la mise en œuvre concrète. Les moyens humains et financiers manquent, les compétences sont dispersées, et la participation citoyenne reste symbolique. L’échec partiel de la Convention citoyenne pour le climat, dont une majorité de propositions ont été ignorées ou affaiblies, a renforcé le scepticisme démocratique autour des processus participatifs (Blondiaux, 2021).

La politique environnementale française donne l’image d’un système technocratique, peu lisible, faiblement incarné politiquement, et coupé des acteurs locaux.


3.6. Vers une écologie politique de la reconstruction

Sortir de l’impasse suppose de changer de paradigme : passer d’une écologie correctrice à une écologie de transformation. Il ne s’agit pas de verdir à la marge un modèle économique obsolète, mais de repenser les fondements de la production, de la consommation et de la justice sociale (Latour & Schultz, 2022).

Plusieurs leviers structurants émergent dans la littérature académique et les expérimentations territoriales :

  • La planification écologique démocratique, fondée sur des instances mixtes (État, collectivités, citoyens), dotées de pouvoirs réels, capables de hiérarchiser les priorités et de mobiliser les ressources.
  • Une fiscalité écologique juste, intégrant la progressivité sociale, l’accompagnement des ménages vulnérables, et la lutte contre les rentes extractives.
  • Le revenu de transition écologique, destiné à sécuriser les parcours professionnels dans les secteurs en mutation (agriculture, bâtiment, transport).

    Un pacte social et climatique, fondé sur un contrat explicite entre l’État, les entreprises et les citoyens autour de la bifurcation écologique.

Loin d’un fardeau, la transition écologique peut devenir un vecteur de justice, de souveraineté et de démocratie. Mais cela exige de rompre avec les demi-mesures technocratiques et d’oser une refondation systémique.

4 — Recul géopolitique, ambiguïtés diplomatiques et fragmentation stratégique : quelle place pour la France dans l’ordre mondial en mutation ?

4.1. Une puissance moyenne fragilisée dans un monde multipolaire

La France, historiquement considérée comme une puissance d’équilibre — dotée d’un siège permanent au Conseil de sécurité, d’une force de dissuasion nucléaire, et d’un réseau diplomatique global — voit aujourd’hui son influence décliner dans un système international recomposé. L’architecture post-bipolaire est marquée par l’émergence de puissances révisionnistes (Chine, Inde, Turquie), la crise du multilatéralisme, et le retour brutal de la guerre conventionnelle sur le continent européen.

Dans ce contexte, la France peine à clarifier sa stratégie. Elle oscille entre atlantisme résigné et souverainisme isolé, entre universalité proclamée et réalisme pragmatique. Son discours reste empreint d’un volontarisme gaullien, mais ses leviers d’action se réduisent. Comme le note Bertrand Badie (2023), la puissance contemporaine ne se mesure plus à la capacité d’imposer, mais à celle de convaincre et d’inclure.

L’absence de doctrine stratégique lisible, conjuguée à une perte de cohérence entre les échelles nationale, européenne et globale, fragilise la position de la France comme acteur structurant du système international.

4.2. La rupture africaine : fin de la Françafrique ou effondrement d’un récit stratégique ?

Les ruptures diplomatiques en Afrique de l’Ouest — Mali, Burkina Faso, Niger — symbolisent un effondrement historique de l’influence française sur le continent. Les opérations militaires, naguère perçues comme des interventions de stabilisation (Serval, Barkhane), sont désormais interprétées comme les prolongements d’un néocolonialisme déguisé.

La multiplication des coups d’État, l’hostilité grandissante envers les bases françaises, et l’accueil réservé à la Russie ou à la Chine par les régimes sahéliens traduisent une dynamique de basculement. Mais ce recul n’est pas seulement militaire : il est aussi mémoriel, culturel et narratif. La France n’a pas su renouveler son récit en Afrique, ni reconnaître les asymétries postcoloniales qui structurent encore ses relations bilatérales (Marchal, 2023).

Le rejet de la présence française dans plusieurs capitales africaines exprime une volonté de souveraineté retrouvée. Il interroge la capacité de Paris à co-construire des partenariats d’égal à égal, dans une logique de codéveloppement plutôt que d’influence.

4.3. Une diplomatie européenne à la recherche d’un cap

Au sein de l’Union européenne, la France ambitionne de jouer un rôle moteur dans la définition d’une autonomie stratégique européenne. Mais la guerre en Ukraine a révélé les limites de cette ambition : les dépendances énergétiques, militaires et industrielles vis-à-vis des États-Unis se sont accentuées, remettant en cause la possibilité d’une Europe-puissance réellement indépendante.

Les propositions françaises, qu’il s’agisse du “pilier européen de défense” ou de la “boussole stratégique”, peinent à convaincre les partenaires de l’Est, plus alignés sur l’OTAN. L’élargissement de l’UE vers les Balkans et l’Europe centrale renforce l’influence des États atlantistes au détriment d’une vision franco-centrée de l’Europe politique.

De plus, l’image de la France comme puissance hégémonique ou moralisatrice freine sa capacité à fédérer. Ce paradoxe affaiblit la portée de son message : l’universalisme proclamé n’est crédible que s’il est accompagné d’une écoute réelle, d’une diplomatie du lien et d’une capacité d’auto-révision.

4.4. Une politique étrangère brouillée par le court-termisme

La diplomatie française apparaît souvent fragmentée, tiraillée entre ses principes universalistes et ses intérêts sécuritaires. Le soutien à des régimes autoritaires au nom de la stabilité, les engagements militaires prolongés sans stratégie de sortie (Libye, Sahel, Syrie), ou encore la rhétorique morale non suivie d’effets concrets affaiblissent sa lisibilité et sa crédibilité.

Cette logique réactive, souvent dictée par des impératifs électoraux ou médiatiques, empêche l’élaboration d’une politique étrangère cohérente, continue et fondée sur une vision de long terme. Le recul des moyens diplomatiques, la marginalisation du Quai d’Orsay au profit de l’Élysée, et l’instrumentalisation croissante des enjeux internationaux dans le débat intérieur participent de cette dérive.

La politique étrangère de la France semble aujourd’hui prise dans une tension non résolue entre le récit d’une puissance morale et la réalité d’une influence en retrait, entre l’héritage d’un empire global et les limites d’une puissance moyenne dans un monde multipolaire.


4.5. Repenser la posture stratégique française au XXIe siècle

Face à ces défis, la France pourrait adopter une posture renouvelée autour de quatre piliers structurants :

Une diplomatie du lien, fondée sur le dialogue interculturel, la reconnaissance des mémoires conflictuelles, et la co-construction de partenariats horizontaux, en particulier dans les Suds.

Une puissance d’équilibre, capable de jouer un rôle de médiateur entre blocs rivaux (États-Unis/Chine, Nord/Sud, Islam/Occident), en cultivant l’écoute et la médiation plutôt que la confrontation.

Un réengagement multilatéral refondé, qui dépasse le formalisme onusien pour investir les communs planétaires (climat, santé, numérique) comme champs d’influence partagée.

Une politique étrangère démocratique, mieux débattue au Parlement, informée par la recherche, et connectée à la société civile et aux intellectuels.

Ce repositionnement suppose aussi une refondation du récit stratégique français : sortir de la nostalgie impériale, reconnaître les limites de la puissance coercitive, et réinventer un humanisme diplomatique — fondé non sur l’universalité imposée, mais sur la dignité partagée, la souveraineté mutuelle et la responsabilité historique.

    Conclusion générale – La France face à ses lignes de faille : vers une refondation démocratique, écologique et géopolitique

    La France se trouve à un tournant historique, confrontée à un faisceau de crises systémiques qui ne relèvent plus du conjoncturel mais du structurel. Déclin industriel, dualisation sociale, fragmentation territoriale, défiance démocratique, transition écologique bloquée, perte d’influence stratégique : ces dynamiques convergentes dessinent une trajectoire de déstabilisation silencieuse mais profonde. Elles signalent moins une crise passagère qu’un dérèglement du contrat républicain lui-même.

    Le modèle productif hérité de l’après-guerre — centralisé, extractif, financiarisé — a atteint ses limites. Il génère une croissance molle, un chômage masqué, une dette croissante et une dépendance technologique inquiétante. Le tissu industriel s’est effrité, les classes moyennes se sont érodées, et les inégalités patrimoniales se sont aggravées. Le territoire national se fragmente entre centres métropolitains attractifs et périphéries reléguées. Dans cette topographie du déséquilibre, le sentiment de déclassement devient un vecteur de défiance politique.

    Sur le plan institutionnel, la Cinquième République montre des signes d’épuisement : présidentialisme hypertrophié, affaiblissement du Parlement, effondrement des partis traditionnels, abstention de masse. La démocratie représentative se vide de sa substance, tandis que la rue, les collectifs et les plateformes deviennent les nouveaux lieux du politique. Mais ces formes émergentes de participation ne suffisent pas à compenser l’absence de réforme structurelle.

    L’écologie, pourtant centrale au XXIe siècle, reste traitée comme une variable d’ajustement. Les objectifs climatiques sont régulièrement affichés, mais rarement atteints. Le nucléaire reste surinvesti, les énergies renouvelables sous-développées, et la justice sociale sous-estimée. La transition apparaît technocratique, punitive, déconnectée. Or, sans une écologie politique démocratique, la bifurcation écologique ne sera ni légitime, ni stable.

    Sur la scène internationale, enfin, la France peine à faire entendre une voix cohérente. Elle oscille entre posture universaliste et repli stratégique, entre ambitions européennes et isolement géopolitique. L’effondrement de son influence en Afrique, la faiblesse de sa capacité d’entrainement en Europe et le brouillage de sa diplomatie minent son image de puissance d’équilibre. Dans un monde multipolaire, la puissance ne se décrète plus : elle se construit dans le lien, la médiation et la légitimité.


    Vers une reconstruction par le sens et la vision

    Face à ces défis, une stratégie de transformation ne peut se contenter d’ajustements techniques. Elle suppose une refondation : intellectuelle, politique, sociale. Il s’agit de reconstruire un horizon commun, un projet national inscrit dans la transition écologique, la justice sociale et la souveraineté démocratique. Cette refondation appelle :

    Une économie au service de la vie, fondée sur la relocalisation, la sobriété et l’innovation soutenable.

    Une démocratie revitalisée, plus participative, délibérative et territorialisée.

    Une transition écologique juste, planifiée, solidaire, et portée par les citoyens.

    Une politique étrangère réinventée, plus inclusive, post-coloniale et résolument humaniste.

    La France ne manque ni d’intellectuels, ni d’ingénieurs, ni d’artistes, ni de citoyens engagés. Elle manque d’un récit unificateur, d’un courage stratégique, d’une capacité à relier ses ressources à un projet partagé.

    À l’heure des effondrements et des recommencements, la refondation de la République n’est plus une option — elle est une nécessité historique.

    Bibliographie 

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    Badie, B. (2023). La diplomatie de connivence : Les dérives de la solidarité internationale. Fayard.

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    Dr. Naim Asas – GERISS – 2025

    21 Comments

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        June 9, 2025 at 4:27 pm

        zp6865

      • phlwin super ace Reply
        June 14, 2025 at 5:40 pm

        Strategic play is key in any casino game, and understanding those patterns really elevates the experience. I’ve been checking out platforms like phlwin super ace login – seems they focus on that too, especially for Vietnamese players! Good to see accessibility prioritized.

      • sz777 login Reply
        June 16, 2025 at 4:20 pm

        Really insightful post! It’s great to see discussions around responsible engagement – crucial for healthy gaming. Thinking about user journeys, the SZ777 Login app seems to prioritize that with its streamlined design & focus on value. Let’s build better experiences!

      • jiliok Reply
        June 19, 2025 at 9:41 pm

        Scratch cards are fun, but JiliOK takes entertainment to the next level with AI-powered insights and slick live dealer games. Check it out at JiliOK!

      • jl boss app Reply
        June 21, 2025 at 6:37 pm

        Interesting read! Security in gaming is crucial, and platforms like jkbose are stepping up – quick verification is a smart move for player safety. Responsible gaming is key, explore cautiously!

      • jl boss games Reply
        June 22, 2025 at 7:13 pm

        That analysis was spot on! Seeing platforms like this evolve is exciting-easy access is key. Quick sign-ups & multiple payment options (like GCash!) are a huge win. Definitely checking out the jlboss app for a seamless experience! 🔥

      • phlwin app Reply
        June 24, 2025 at 7:04 am

        Smart bankroll management is key to enjoying any casino game! Seeing platforms like phlwin online casino prioritize a smooth login & easy funding options (like GCash!) definitely adds to the player experience. It’s all about convenience! 👍

      • philwin Reply
        June 24, 2025 at 7:49 pm

        Interesting read! Seeing platforms like philwin online casino really focus on the local player experience – quick registration & GCash are key for Filipino gamers. Responsible gaming is crucial too, of course! 👍

      • jljl55 Reply
        June 26, 2025 at 12:12 am

        Interesting take on maximizing returns! Seeing platforms like jljl55 game focus on tech-especially fast processing & verification-could really change the player experience. Smart registration sounds great!

      • jiliboss Reply
        June 26, 2025 at 9:02 pm

        Seriously enjoying this article! The focus on player experience really resonates – reminds me of platforms like jiliboss legit, where fast loading & great graphics are key. Becoming a “boss” player is all about that seamless fun! ✨

      • jl boss Reply
        June 30, 2025 at 5:08 am

        It’s fascinating how quickly online gaming evolved in Southeast Asia! Platforms like jl boss app casino are now prioritizing both security and diverse entertainment – a huge shift from early sites. User verification is key for trust, it seems!

      • bossjl Reply
        June 30, 2025 at 5:09 am

        Interesting read! Understanding player psychology is key, even in online casinos. Seeing platforms like BossJL prioritize easy access & security – a smooth experience is crucial. Check out bossjl download for a streamlined approach to gaming!

      • ph987 Reply
        July 3, 2025 at 6:24 am

        Interesting read! It’s true, navigating online casinos can be complex. Seeing platforms like ph987 game focus on user experience-like a dedicated app-is a smart move for both new & seasoned players. Solid security is key too!

      • 2jl Reply
        July 3, 2025 at 6:49 pm

        Responsible gaming is key, folks! It’s easy to get carried away, so set limits. Heard good things about the variety of games at 2jl app casino – especially convenient with the app download for on-the-go play. Remember to prioritize fun & stay safe!

      • jili pg Reply
        July 8, 2025 at 4:52 am

        Immersive live dealer games really feel like being at a casino! It’s great seeing platforms like jili pg vip cater to Filipino players with easy app downloads & secure access – a smooth experience is key for enjoying those thrilling slots! ✨

      • 21jllogin Reply
        July 8, 2025 at 8:03 pm

        It’s fascinating how quickly online casinos are evolving! Seeing platforms like 21jl login app prioritize easy access & secure accounts (like that verification step!) is a good sign for players. Responsible gaming is key, always! 🤔

      • winph99 Reply
        July 11, 2025 at 5:27 pm

        Interesting read! Seeing platforms like winph99 com really emphasize data & transparency is a positive step. Understanding probabilities is key to smart play, especially with those high-volatility games. Good analysis!

      • s5casino Reply
        July 12, 2025 at 1:46 am

        Really interesting read! The focus on a classic casino feel, like with s5 casino, is a smart move. Easy access via app download & legit verification builds trust-important for any online platform! 👍

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